L’ARTISTE
PARIS 2008
Maria -Veronica Leon V, ou « l’art de
tirer le portrait »
Peu d’artistes contemporains osent ce qui ne se fait pas. Maria – Veronica Leon provoque les esprits… L’artiste se réapproprie un genre pictural tombé en désuétude, le portrait.
Comme Ingres, elle ne touche pas à la psychologie de ses modèles comme lui, à en croire Baudelaire, elle pense « que la nature doit être corrigée, amendée; que la tricherie heureuse, agréable, faite en vue du plaisir des yeux, est non seulement un droit, mais un devoir. » « Je veux qu’ils se découvrent différents,je veux les sortir de leur quotidien, je les relance ! » dit –elle.
Elle leur invente alors un environnement aux dimensions insoupçonnées, leur crée une « vie nouvelle » dans et pour la peinture. Dans cette perspective plus ouverte de concevoir l’art du portrait, elle se permet de transformer son modèle en personnage mythologique et du même coup de son statut de genre mineur « l’art de tirer le portait » devient chez elle une peinture au sens large du terme, une peinture aux multiples histoires, une mythologie.
Le cycle des toiles représentant la Duchesse de Galliera est exemplaire. La célèbre mécène des arts génoise interprétée par l’artiste devient l’héroïne d’une véritable épopée qui traverse les âges.
Maria Veronica Leon peint ses amis, célébrités, mères avec leur fille… Cernée à plat et de face.
Chacune de ses effigies est intimement liée à un espace pictural qui lui est propre. Des formes rondes et fertiles traversent les corps, géométries incaïques, constructivistes, rythmiques obtenues par des couleurs fauves.
Les symboles comme des écritures cabalistiques dont seules les initiés en connaissent le sens secret peuvent occuper la toile entière transcendant la figure.
Des huiles, collages, acryliques, images de synthèse, peut importe le matériau, c’est le résultat qui compte.
Impunément allégorique et cosmique s’inspirant de la nature qu’elle dénature, puisant dans son psychisme, prenant à la bande dessiné ce dont elle a besoin, sa peinture est une peinture esthétiquement transgressive. Et par surcroît une peinture de femme sud américaine ce qui met du feu sur l’huile et du sel dans les épinards, la joie et le tragique d’un baroque réinterprété.
Les motifs floraux sur la robe de la Duchesse de Galliera les colliers semblables aux algues marines, effets de pierreries et coquillages pour le portrait de Philippe Ferrari …
Elle aime les caméléonades…Maquillages, étoffes, toilettes très simples, parfois savamment ajustées, dentelles vaporeuses cachent, enveloppent, métamorphosent le modèle. En guise de collages, il lui arrive d’utiliser des C.D.
De leur éclat clinquant comme des agaçantes et provocatrices mosaïques contemporaines ces matériaux usuels prennent la lumière irritant le spectateur.
La démonstration ostentatoire de ce mundus muliebris la rapproche de Léonore Fini. Sphinge sombre et extatique Léonore Fini appartient déjà à l’histoire tandis que Maria – Veronica Leon invente un monde post contemporain au rythme trépidant de la techno.
Dans l’un de ses autoportraits auquel elle lui a donné le titre exotique de «La Emperadora de China » elle se présente torse nue, assise dans la position de lotus, sauvage, moitié verte et moitié rouge, extravagante crâneuse. Elle porte une cravate, fend son tableau parce qu’en révolte contre le milieu conventionnel dans lequel elle a grandi, parce qu’elle est autrement de ce que l’on peut penser d’elle, parce qu’elle est avant tout une peintre et une femme libres !
Comme Klimt elle aime l’or. Pour le peintre Autrichien, l’éclat de ce métal précieux rappelle Byzance. Pour Maria -Veronica Leon la spiritualité Incas, la lumière de la Cordellière des Andes, la dimension solaire dont elle auréole ses personnages. Ils nous regardent droit dans les yeux altiers et morganatiques ou bien souriants, comme pour poser, toujours en représentation jamais à l’abandon.
La dimension amoureusement humaine de l’art de Maria – Veronica Leon on la retrouve dans ses dessins. Elle exécute des masques et des portraits admirables.
Son dessin semble avoir été prit à la dérobade non seulement à une autre expression artistique, mais à l’une de plus grandes danseuses contemporaine qu’elle a longtemps accompagné dans ses tournées, Pina Bausch.
Sur des petits formats sur papier, le stylo-bille glisse au fil d’un trouble naissant. L’indicible silence du corps s’évapore un peu comme dans le pointillisme de Seurat. Des corps qui s’étirent dans la beauté et le désir puis se replient sur eux-mêmes. Ils souffrent peut-être, d’autre fois expulsent l’énergie de la vie, jouissent se laissent regarder, adorés.
La justesse des corps en mouvement rappelle le sublime Degas, proche lui aussi de danseuses de leur jeunes corps malléables.
Je n’ai pas parlé des performances, des vidéos du vaste répertoire visuel de cette artiste équatorienne. Ni de sa vie et de ses voyages et de ses rencontres exceptionnelles. Une prochaine fois, peut-être… Peu d’artistes contemporains
sont habités par la conviction d’accomplir à travers leur art une mission destinale, c’est salutaire !
Ileana Cornea Paris mars 2008
Critique d’art et curateur